La dernière décennie a été marquée par une inquiétude grandissante de la population face au pouvoir croissant des géants du web et des plateformes numériques. Un sentiment de perte de contrôle sur nos données semble parfois nous gagner, à tel point qu’on ne sait plus très bien quelles informations on a vraiment consenti à partager en contrepartie de l’utilisation d’applications telles que celles de Google, Netflix, Apple, etc.
Pour pallier ce manque de contrôle sur nos données, un mouvement social et culturel a pris forme au cours des dernières années avec pour ambition centrale de générer un véritable contre-pouvoir dans le monde numérique. Ce mouvement a donné naissance à des coopératives de données, inscrites dans des principes d’autonomie et de partage qui remontent au XIXè siècle. Quelles sont donc ces coopératives d’un nouveau genre et que promettent-elles ?
Qu’est-ce qu’une coopérative de données ?
Selon Alex Pentland and Thomas Hardjono, chercheurs au MIT, la notion de coopérative de données désigne « la mise en commun volontaire et collaborative par des individus de leurs données personnelles au profit des membres de leur groupe ou de la société ». La motivation des individus à se réunir et à mettre en commun leurs données a plusieurs raisons, telles que la volonté et le besoin de partager des informations communes sur des données qui seraient autrement cloisonnées ou inaccessibles. Ces informations fournissent aux membres de la coopérative une meilleure compréhension de leurs conditions de vie, habitudes, préférences et activités, tout en garantissant un contrôle sur les données partagées et mises en commun, notamment concernant les usages qui en sont faits.
En tant que forme organisationnelle, la coopérative de données confère autonomie et responsabilité aux individus en leur donnant un contrôle total sur la qualité et la quantité des données qu’ils partagent. Grâce à un tel mécanisme, la coopérative établit non seulement un écosystème de confiance, mais s’assure également que les usages faits des données sont en adéquation avec les récentes lois sur la protection des données telles que le RGPD dans l’Union européenne, HIPAA aux États-Unis ou PIPEDA au Canada.
De plus, en agrégeant les données individuelles, une coopérative améliore le pouvoir de négociation des individus qui peuvent alors revendiquer une valeur commerciale plus grande pour les utilisations secondaires de leurs données. Nous allons voir tout ceci plus bas.
Exemples de coopératives de données
Des exemples de coopératives de données à succès existent déjà :
- MiData en Suisse et Salus Coop à Barcelone permettent à leurs membres de mutualiser et de partager des données de santé
- Swash regroupe les données de navigation sur le web de ses membres
- Driver’s Seat est une coopérative détenue par des chauffeurs et livreurs qui agrège les données liées à leurs activités
- Resonate est une coopérative de données détenue collectivement par des musiciens, des labels et des fans
Ces coopératives assume une responsabilité fiduciaire. Il s’agit d’une obligation légale de gérer les données, de fournir des informations aux membres et de négocier avec les fournisseurs de services et autres utilisateurs de données dans l’intérêt des membres. Ce modèle est proche des coopératives plus anciennes comme les coopératives de crédit.
Les bénéfices et le pouvoir d’une coopérative de données
Les coopératives de données qui collectent, analysent et gèrent les données de leurs membres, peuvent aussi adopter des modèles de compensation permettant de rémunérer les membres pour leurs contributions individuelles. Ces coopératives peuvent alors attirer davantage de participants et fidéliser leurs membres en utilisant trois leviers fondamentaux, qui ont été analysés par plusieurs chercheurs :
- Accroître le sentiment de contrôle sur ses données : De par leur participation, les membres d’une coopérative de données contrôlent la qualité ainsi que la quantité de données qu’ils partagent avec la coopérative.
- Gagner du pouvoir de négociation : Les données personnelles d’un individu en elles-mêmes n’ont pas beaucoup de valeur (Pentland et Hardjono, 2020). En agrégeant les données des membres, une coopérative peut demander un prix plus élevé aux utilisateurs de données.
- Obtenir une compensation monétaire : Pour le partage de leurs données, les membres d’une coopérative peuvent recevoir une compensation monétaire. Plus la taille d’une coopérative est grande, plus son pouvoir de négociation est élevé et conduit à une rémunération plus grande pour ses membres.
Les défis de la mise en oeuvre d’une coopérative de données
Si la coopérative de données semble être un modèle prometteur pour accélérer le partage, la mise en commun, la valorisation et le contrôle sur les données, il n’est pas si simple de le mettre en place ni de systématiser son usage.
Dans un excellent article du Human-Centred AI Institute de l’Université Stanford, la chercheuse Diviya Siddarth présente plusieurs conditions essentielles au succès des coopératives de données :
- Il est nécessaire de mettre en place des outils fiables et sécurisés pour assurer le transfert et le stockage des données, ainsi que des méthodes d’apprentissage automatique préservant la confidentialité pour regrouper les données et en extraire des informations utiles ;
- Sont aussi essentiels les réglementations concernant la confidentialité, la réutilisation et la destruction des données, ainsi que les cadres et standards favorisant l’interopérabilité des données et la portabilité (permettant aux membres et partenaires autorisés de récupérer les données dans un format lisible et exploitable) ;
- Et si certaines coopératives de données espèrent être indemnisées pour l’utilisation de données que les entreprises utilisent aujourd’hui gratuitement, il faut déterminer une tarification claire et établir des moyens pour que les coopératives de données puissent obtenir cette compensation et la redistribuer à leurs membres ;
- Et surtout, il est indispensable de bâtir la confiance dans ces coopératives de données, ce qui nécessite notamment la mise en œuvre de processus décisionnels démocratiques et imputables permettant un juste partage du pouvoir entre les membres et une transparence sur les décisions prises.
Finalement, la discussion touchant les coopératives de données s’inscrit dans une problématique plus large autour de la création de biens communs numériques. Cette réflexion n’est bien sûr pas nouvelle mais elle est frappante d’actualité : en effet, comment garantir que la quantité toujours plus grande de données que nous générons vienne non seulement satisfaire nos propres besoins et intérêts mais aussi ceux de notre communauté et de la société plus généralement ? Nous vous laissons sur cette interrogation et vous invitons à visionner l’excellente vidéo de Divya Siddarth ci-dessous.