Dans un article remarquable datant d’avril 2024, le New York Times expose de façon éloquente comment les géants du numérique « tournent les coins ronds » en bafouant sans vergogne les législations sur la propriété intellectuelle. Au quotidien, ces entreprises entraînent en effet leurs algorithmes d’intelligence artificielle (IA) générative sur d’immenses quantités de textes, d’images, de sons et de vidéos pourtant protégés par le droit d’auteur.
Depuis que l’on sait que le nombre et la diversité des données demeurent des facteurs clés pour augmenter la puissance et la précision des IA génératives, il ne semble plus exister aucune limite aux actions des entreprises du web pour sans cesse massifier les bases d’apprentissage de leurs algorithmes. Les firmes comme Google, Meta et Open AI paient même des éditeurs pour permettre à leurs IA de lire des livres ! Et sachez que les algorithmes s’entraînent en continu sur toutes les informations (textes, photos, vidéos, etc.) que nous partageons sur leurs plateformes. À méditer avant de poster votre prochain album sur Google Photos…
Face à cela, un nombre important d’écrivains et d’artistes en tout genre, qui voient leur style plagié au quotidien par des IA créatrices, tentent d’intenter des procès aux grandes entreprises du numérique. Hélas, sans grande chance de l’emporter. En parallèle, les gouvernements s’activent en Europe comme en Amérique du Nord pour entamer une réflexion profonde sur la révision des législations sur le droit d’auteur à l’ère de l’IA. C’est le cas, par exemple, du Canada, à travers sa consultation publique lancée en ligne qui en appellent à la mobilisation de nombreux experts des milieux créatifs.
Mais, au final, est-ce la Loi qui nous permettra de mieux protéger la création humaine face à la venue de l’IA ? Ou bien, devrait-on repenser la manière dont on protège les droits d’auteur à l’heure où l’IA peut créer et inventer aussi bien, voire mieux que nous ? Voici des réflexions importantes que nous vous proposons d’explorer dans cet article.
Nous sommes passés dans une nouvelle ère de la création
Pour le secteur de l’industrie créative, le virage numérique a toujours fait l’effet d’un choc quasi traumatique. Souvenez-vous de l’avénement des premières plateformes de diffusion de musiques ou de vidéos en ligne (le streaming, en anglais). L’arrivée de Napster, au tournant des années 2000, puis de Deezer et de Spotify par la suite, a conduit à l’élimination radicale de nombreux intermédiaires entre les artistes et les consommateurs de contenus musicaux. Dans le secteur cinématographique, on ne parle même plus de la disruption produite par l’arrivée des grandes plateformes comme Netflix et Disney+, tant il demeure évident que le cinéma n’est plus le même à l’heure de la diffusion massive de films et de séries sur petits écrans.
Que se passe-t-il alors de nouveau dans l’industrie créative avec l’intelligence artificielle ? En fait, l’enjeu est double.
D’une part, comme nous l’avons écrit en introduction, les algorithmes d’IA sont entraînés quotidiennement sur nombre d’œuvres livresques et picturales qui sont pourtant la propriété de leurs auteurs. Par la suite, les utilisateurs de tels algorithmes peuvent très bien produire avec l’IA un texte ou une image en imitant le style d’un artiste dont l’oeuvre a servi à nourrir l’IA générative. Ces cas de plagiat évidents posent problème, car à aucun moment l’artiste en question ne reçoit de reconnaissance ni de rétribution en contre-partie de l’utilisation de son oeuvre, alors que c’est précisément l’un des objectif de la législation sur le droit d’auteur.
D’autre part, nombre de personnes font aujourd’hui l’emploi de logiciels d’IA générative pour produire des textes, des images et des vidéos qu’elles aimeraient revendiquer comme étant les leurs, en faisant reconnaître leur propriété intellectuelle sur ces œuvres. Peut-être avez-vous déjà entendu parlé de la controverse ayant éclos au Japon à la suite de l’annonce de la récipiendaire du plus grand prix littéraire du pays, Rie Kudan ? Elle a en effet avoué avoir employé ChatGPT pour écrire plusieurs passages de son livre. Pouvait-elle encore être reconnue comme l’autrice principale de son ouvrage ? Cette question ne peut être répondue qu’en évaluant l’importance de la contribution de l’IA face à la production proprement humaine. Lorsque seulement certains passages uniquement sont écrits par l’IA, c’est peut-être simple ; mais lorsqu’on produit toute une oeuvre d’art numérique à l’aide d’un simple prompt, ce n’est plus aussi aisé !
Ces enjeux signifient-il finalement que les droits d’auteurs sont devenus obsolètes à l’ère de l’IA, alors même que les productions artistiques deviennent progressivement le fruit d’une fusion créatrice entre l’homme et la machine ? Pas si sûr ! En effet, plusieurs pistes peuvent être explorées pour mieux protéger la création humaine et contrôler son utilisation et son partage à travers la toile. Explorons l’une de ses pistes à travers les promesses des NFTs qui sont les Jetons Non Fongibles en français.
La promesse des NFTs pour protéger la création humaine
Pour commencer, disons d’emblée que ces outils numériques que sont les NFTs ne pourrons à eux seuls répondre à tous les enjeux soulevés par l’IA dans les milieux créatifs. En effet, il demeurera toujours difficile d’attribuer une propriété intellectuelle à une oeuvre produite avec l’IA mais revendiquée par un artiste bel et bien humain.
Toutefois, à ce bémol prêt, les Jetons Non Fongibles nous permettraient de mieux tracer les usages des œuvres artistiques, textuelles comme audio-visuelles, qui se retrouvent sur le web, en permettant à leurs auteurs de suivre leurs utilisations et de recevoir une rétribution en contre-partie de leurs usages. Mais comment cela est finalement possible ?
En termes simples, un NFT est un type spécial de certificat numérique qui est enregistré sur une chaîne de blocs (une blockchain, en anglais) sur laquelle on peut stocker nombre d’informations sur une oeuvre, telles que que son auteur, sa data de création, ses supports et son contenu créatif (texte, image, vidéos, etc.). Dès lors qu’un NFT est attaché à une oeuvre numérique, tout usage qui en est fait sur le web se trouve enregistré sur la chaîne de bloc, ce qui évite les cas de plagiat ou d’utilisation sans reconnaissance du droit d’auteur. De plus, un NFT peut inclure un contrat intelligent (appelé smart contract, en anglais) qui permet à un auteur de recevoir automatiquement une rétribution lorsque sont oeuvre est utilisée ou vendue. De la sorte, les Jetons Non Fongibles s’avèrent très prometteurs pour mieux préserver l’authenticité des œuvres numériques et garantir aux artistes une reconnaissance de leur propriété intellectuelle.
Mais alors, me diriez-vous, pourquoi les NFT ne sont pas utilisés de façon plus systématique pour protéger les productions créatives humaines sur le web ? Cette question est intéressante et également complexe. En effet, les NFT reposent sur des plateformes de blockchain qui font usage de cryptomonnaies, telles que l’Ethereum. Un artiste doit donc créer un NFT (c’est le mining, en anglais) afin de protéger son oeuvre, ce qui peut entraîner des coûts importants (et d’ailleurs fluctuants selon les valeurs changeantes des monnaies virtuelles).
De plus, du fait d’un manque de réglementation et d’information autour des NFT, ces outils suscitent encore beaucoup de méfiance dans les milieux créatifs. C’est certainement dommage, car comme on l’a vu, ils représentent une voie d’avenir pour favoriser la protection du droit d’auteur à l’ère de l’IA.