Vous le savez certainement, la Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux (LRSSS), anciennement appelée Loi 5, est officiellement entrée en vigueur au Québec le 1er juillet 2024. Elle a pour objectif central de favoriser la mobilité et l’utilisation des données de santé tout en assurant leur sécurité et leur protection au regard de leur sensibilité et des attentes des patients et des intervenants.
Bien qu’étant déjà en vigueur, la LRSSS revêt encore plusieurs inconnues à ce jour : Comment se fera l’accès aux données pour les patients ? Quelle forme prendre le nouveau Dossier santé numérique qui favorisera la connexion entre les sources de données ? Ou encore, comment le secteur privé en santé aura-t-il effectivement accès aux données pour la réalisation de recherches approuvées ?
Toutes ces questions nous amènent à vous proposer quelques éléments de réflexion et de clarification à l’aide des dernières nouvelles diffusées par les acteurs ministériels et gouvernementaux concernant l’avenir de la LRSS.
Les patients ont soif et même faim de données
Le 28 août 2024, avait lieu au Centre de santé de l’Université McGill le Symposium Laurie Hendren intitulé : Les données des patients dans la boucle. Durant cette conférence, les patients invités à s’exprimer ont porté de nombreux messages dont un particulièrement éloquent qui se retrouve dans tous les forums de patients au Québec :
Mettons fin à tout délai dans l’accès des patients à leurs propres données. L’accès aux données de santé en temps réel est source d’autonomisation, de gain de pouvoir et, surtout, d’apaisement.
Le problème, selon plusieurs patients et représentants associatifs, c’est que la LRSSS mentionne à son article 34 que la réponse a une demande d’accès aux données peut se faire en 30 jours maximum. Cette mention semble problématique car elle introduit un délai admissible pour les organismes fournisseurs de données (tels que les cliniques et les hôpitaux), un délai insupportable pour nombre de patients qui peuvent légitimement se demander pourquoi leur médecin aurait accès à leurs informations avant eux-mêmes.
Lors du dernier panel du Symposium Laurie Hendren, le sous-ministre adjoint porteur de la LRSSS, M. Marc-Nicolas Kobrynsky, a bien compris cette problématique et ce message. Il s’est engagé à ce que ce délai de 30 jours ne soit pas considéré comme un étalon mais comme une limite maximale. Ainsi, une fois que le Dossier santé numérique impulsé par le système EPIC sera en place au Québec, l’accès par les patients à leurs données devrait se faire en temps réel, lorsque cela est faisable technologiquement bien sûr.
D’ailleurs, le portail patient de EPIC est déjà connu, il s’agit de MyChart, qui a déjà mis en place dans de nombreuses juridictions dont l’Alberta. Ce sera donc l’avenir du Québec en matière d’accès aux données de santé pour les patients et les proches aidants.
On imagine alors que les jours du bon vieux Carnet Santé Québec (CSQ) sont désormais comptés ! Entre nous, c’est plus un bien qu’un mal tant le CSQ est difficile d’accès et comporte encore trop peu d’informations concernant notre état de santé, notre parcours de soins et les résultats y afférant.
Les chercheurs craignent un ralentissement du système
Outre l’accès aux données par les professionnels des soins et services, la LRSSS vise à faciliter celui des chercheuses et chercheurs en santé, qu’ils soient du domaine public ou privé. Pour les premiers, la possibilité de réaliser des projets multicentriques, exigeant des données de plusieurs institutions, devrait être grandement facilitée par la LRSSS. De fait, les chercheurs sont désormais autorisés à s’adresser à une institution plutôt qu’à toutes celles visées par leur projet, afin de recevoir les données dont ils ont besoin et auxquelles ils sont autorisés à accéder.
Le problème toutefois, c’est que, si la Loi ouvre la voie à une accélération de l’accès aux données pour des fins de recherche, elle ne la garantit nullement. En effet, technologiquement parlant, personne ne sait à ce jour comment un seul établissement de santé pourra effectivement réunir les données de plusieurs centres étant visés par une demande d’accès pour la recherche. De plus, sur les plans juridique et éthique, on ne sait pas non plus comment on se chargera de l’évaluation des demandes des chercheurs, notamment en lien avec la réalisation de l’Evaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EVFP) dans le cas d’une étude multicentrique.
À ces inconnues s’en ajoute une autre de taille : l’accès aux données de santé pour les chercheurs du secteur privé. Selon la LRSS, un Centre d’accès pour la recherche (CAR) devrait être nommé pour assurer cette nouvelle fonction selon les meilleurs standards de sécurité et pratiques de gouvernance et de gestion en vigueur. Mais, nul ne sait à ce jour qui officiera en tant que CAR au Québec. Bien sûr, la rumeur circule et nous dit que des établissements de santé, au nombre de deux, l’un à Montréal, l’un à Québec, recevront bientôt par décret le mandat d’officier en tant que tels et de répondre aux demandes d’accès des chercheurs privés. Mais rien n’est sûr à ce stade.
Et donc, force est de constater que deux mois après l’entrée en vigueur de la Loi, nous demeurons encore dépourvus au Québec d’un plan concret pour favoriser l’accès aux données de santé par la recherche privée avec l’ascentiment, la confiance et la compréhension des patients et des citoyens. Un travail de pédagogie va devoir s’imposer, et c’est urgent !
La LRSSS est donc bien en vigueur au Québec, si vous en doutiez encore 😉 Mais le nombre encore élevé de questionnements qu’elle suscite fait en sorte que sa mise en opération demeure incertaine et requiert toutes les énergies dont le Québec dispose. Continuons de travailler dur tous ensemble pour favoriser l’accès aux données pour des finalités qui contribuent à l’avancement de notre société !