La conscientisation, c’est bien plus que la prise de conscience d’une réalité ou d’une situation. À vrai dire, pour reprendre la définition que nous en donne le Larousse, il s’agit d’une « méthode pédagogique par laquelle l’éducateur prend comme support de son enseignement la réalité matérielle et sociale environnant le sujet, de façon à l’impliquer et à le motiver au mieux possible pour son apprentissage. »
La conscientisation est donc un processus actif de construction de connaissances qui va à l’encontre de la pédagogie traditionnelle fondée sur la transmission de savoirs. Et pour explorer ses origines et son utilité pour envisager de nouveaux modèles de gouvernance des données, nous vous proposons tout d’abord d’explorer la pédagogie émancipatrice du penseur brésilien Paulo Freire.
Conscientisation et émancipation selon Paulo Freire
Paulo Freire (1921-1997) est l’auteur d’une pédagogie émancipatrice faisant de la pratique éducative le moteur de la libération des populations vulnérables et défavorisées. S’opposant à une conception « bancaire » de l’éducation, fondée sur la transmission de savoirs et de techniques, il a voulu affirmer le caractère politique de l’éducation, dont l’enjeu est avant tout de permettre aux individus de se transformer et de changer le monde dans lequel ils vivent.
Selon Paulo, Freire, les êtres humains entretiennent un rapport dialectique au monde : tout en étant influencés ou limités par un ensemble de facteurs naturels, sociaux et culturels, ils peuvent aussi choisir de les modifier en vue de façonner une autre réalité.
Cet acte créateur nécessite qu’ils dévoilent le monde tel qu’il est, en l’appréhendant de façon critique, afin de cerner leur positionnement au sein de la société. Ce dévoilement n’est toutefois pas suffisant pour permettre la conscientisation et ouvrir la voie à la libération. Il est ainsi nécessaire que les personnes parviennent à prendre conscience de leur pouvoir transformateur et de leur capacité à modifier les relations qui les lient aux autres et au monde.
Reprendre du pouvoir sur les données
Selon la perspective de Paulo Freire, la conscientisation en matière de données pourrait être le point de départ d’une prise de conscience de notre pouvoir d’agir sur ces informations et de mieux décider de leurs usages et de leur valeur. En découvrant ce que sont les données, leurs bénéfices et leurs enjeux, nous serions davantage en mesure de nous engager dans des processus permettant d’exercer un plus grand contrôle sur leurs utilisations et finalités.
Dans un monde numérique où les activités de collecte et de valorisation des données personnelles sont largement dominées par des acteurs dont on ignore le plus souvent les pratiques, reprendre le pouvoir sur les données signifie avant tout de décider d’avec qui on les partage et ce qu’on en fait.
À ce titre, de nouveaux modèles de gouvernance des données ont émergé au cours des dernières années, offrant des pistes prometteuses pour déployer des mécanismes garantissant non seulement le respect des attentes citoyennes en matière de contrôle et de confidentialité mais aussi un plus large accès aux données pour les personnes et les organisations qui se proposent d’en faire usage pour l’intérêt public, par exemple les chercheurs académiques.
En Espagne, par exemple, la coopérative Salus Coop propose ainsi à ses membres de mettre en commun leurs données de santé de façon sécuritaire afin de promouvoir l’avancée de la recherche médicale.
En Suisse, une initiative similaire, du nom de MIDATA, permet à chaque individu de choisir avec quels groupes de chercheurs il veut partager ses données de santé pour favoriser l’avancée d’une cause qui lui est chère.
Ce modèle de partage et de valorisation des données pour le bien commun est très inspirant et semble dessiner une voie alternative pour permettre un regain de pouvoir sur l’utilisation et la gestion de nos données personnelles.
Selon vous, dans quelle mesure un tel modèle de gouvernance des données peut-il être mis à l’échelle et devenir dominant ?