Depuis plusieurs décennies déjà, le terme de “données ouvertes” est entré dans le vocabulaire de la recherche.
On y parle non seulement d’open data mais aussi de science ouverte pour favoriser la réutilisation des données de recherche, la vérification des résultats scientifiques et la diffusion des connaissances auprès du plus grand nombre en vertu des principes FAIR.
Le mouvement en faveur des données ouvertes semble inéluctable dans le monde scientifique. Mais dans le domaine de l’action publique, il rencontre bien plus d’obstacles et de lenteur. Et pourtant, les bénéfices de l’ouverture des données gouvernementales peuvent être immenses. C’est ce que nous allons voir dans cet article !
Des préoccupations face à l'ouverture des données
Ouvrir les données publiques n’est pas sans soulever des préoccupations, notamment dans les ministères et les organismes publics. Des chercheurs de l’Université John Hopkins ont recensé les inquiétudes les plus courantes exprimées par les acteurs et les actrices des administrations publiques autour de l’ouverture des données :
- « Si nous ouvrons nos données, quelqu’un pourrait identifier des individus et ensuite utiliser les données pour leur nuire. »
- « Nos résultats ne sont pas terribles, et donc l’ouverture des données nous exposera aux critiques du public. »
- « Les médias ou la population prendront nos données telles quelles et manqueront des éléments clés de notre action, racontant une histoire erronée. »
- « Notre personnel est déjà assez débordé comme cela pour ajouter une autre chose à faire avec l’ouverture des données. »
- “Nous pourrions être poursuivis si nous divulguons des informations protégées ou erronées”.
- « Nous dépenserons beaucoup en logiciels, en personnel, en formation, etc. tout en recevant très peu en retour. »
- “L’utilisation d’un portail de données ouvertes crée un risque pour la sécurité de nos systèmes d’information; il les rend vulnérables et mettra nos données en danger.”
Les bénéfices de l'ouverture des données des administrations
Tout d’abord, l’ouverture des données permet de valoriser le travail réalisé par les actrices et les acteurs des ministères et des organismes publics. Elle opère comme un facteur d’engagement et de motivation des équipes, et leur permet de gagner un certain rayonnement auprès de leurs pairs et du public. Ainsi, la publication des jeux de données sur le portail québécois donneesquebec.ca pourrait s’accompagner d’une description plus précise des productrices et des producteurs de ces données. Ceci permettrait de mettre de l’avant leurs compétences et expertises tout en démontrant à la population comment sont investis les deniers publics.
En effet, l’ouverture des données est l’occasion de mettre au grand jour la performance de l’administration publique et l’utilité des impôts pour produire de la valeur et des améliorations concrètes pour la société. C’est bien cet argument qui a été mis de l’avant par le journal The Guardian au Royaume-Uni lors de sa campagne de 2006 qui s’intitulait “Rendez-nous les joyaux de la couronne”. La publication des données publiques permet de souligner l’importance des investissements publics dans la production d’informations de qualité, accessibles gratuitement et en temps opportun pour l’ensemble des actrices et des acteurs de la société. Il s’agit d’une mission qui peut renforcer d’autant plus le sens du travail et de l’effort conduits par les membres des administrations publiques.
Ouvrir les données publiques permet également de leur apporter plus d’exactitude et de complétude. C’est bien ce que démontrent les enquêtes conduites par des experts des données publiques. Dans son étude, la coopérative française DataActivist montre que dans la ville de Rennes, en France, des agents publics ont ouvert les données concernant les horaires et les trajets des transports collectifs et ont alors découvert grâce aux usagers que les arrêts de bus étaient localisés parfois à 300 mètres de leur emplacement réel. Ce type de retour a permis d’apporter des corrections précieuses aux données publiques tout en favorisant l’engagement de la population dans l’utilisation de ces informations.
Tout comme les données, les systèmes d’informations des administrations publiques peuvent aussi bénéficier d’un mouvement d’ouverture. En effet, en entamant un tel processus, une administration peut être amenée à réaliser une cartographie de ses technologies, à recenser les fichiers de données existants ainsi que les données manquantes. À travers ce recensement, les découvertes peuvent être nombreuses : systèmes obsolètes, mises à jour non réalisées, fichiers de données non classés… Les bénéfices tirés d’une telle analyse peuvent être très porteurs pour l’amélioration continue. De plus, l’analyse des systèmes d’information permet d’évaluer leurs caractéristiques et de percevoir si ceux-ci répondent toujours aux normes et standards requis par les nouvelles dispositions législatives.
La transparence de l’action publique alimentée par une démarche d’ouverture des données participe sans nul doute à l’accroissement de la confiance de la population dans son gouvernement et ses services publics. Comme on l’a vu durant la pandémie, la défiance d’une partie de la population vis-à-vis des autorités gouvernementales peut être dangereuse pour la santé et la sécurité publiques. Dès lors, la diffusion de fausses informations à travers Internet et les réseaux sociaux peut venir brouiller les éléments de la communication publique et les recommandations scientifiques. Un moyen de réduire la probabilité de fausses nouvelles est de fournir au public des données brutes et granulaires qui peuvent être analysées et exploitées par l’ensemble des actrices et acteurs du débat. C’est un moyen parmi d’autres de couper court aux controverses sur l’origine des analyses et des recommandations fournies par le gouvernement.
De plus, l’ouverture des données publiques est un moteur pour l’engagement des populations dans la vie publique et la prise de décision collective. Les données peuvent être rendues plus visibles et accessibles à travers des représentations graphiques qui viennent leur donner un sens pour le plus grand nombre. C’est ce que nous montrent les tableaux de bord et les cartes dynamiques de la ville de Los Angeles qui permettent aux habitants de prendre connaissance d’un ensemble d’informations critiques pour participer au débat public et co-construire les politiques de la ville. Il existe de telles modalités de visualisation des données pour la santé, l’éducation, les transports, la sécurité, et bien d’autres domaines de l’action publique municipale.
Finalement, les données ouvertes revêtent un potentiel de croissance indéniable sur le plan économique. C’est bien ce que démontrent les études internationales conduites par des sites Internet validés scientifiquement comme Govlab.com, opendataimpactmap.com et l’opendatabarometer.org. À travers leurs enquêtes, ils présentent quantitativement et avec des études de cas les impacts de l’ouverture des données en matière de création de nouveaux d’emplois, de développement de start-ups et de génération de revenus pour les entreprises et les gouvernements. Pour le Canada, on découvre grâce à ces sites plusieurs entreprises dont le modèle d’affaire est fondé sur l’ouverture des données telles que Ajah (visualisation des données), NesReady (choix immobilier) et Busbud (planification des transports).
Au-delà des avantages économiques pour le secteur privé, l’ouverture des données bénéficie aussi à l’innovation dans le secteur public. À travers des partenariats multi-acteurs, de nouveaux services basés sur les données peuvent se mettre en place pour venir répondre directement aux attentes et aux besoins des usagères et des usagers. C’est ce que démontre l’initiative Montréal en Commun dont l’un des piliers se fonde sur l’utilisation responsable des données d’intérêt général. La Ville de Montréal, en partenariat avec plusieurs organisations du secteur communautaire telles que Nord Ouvert, a développé un cadre éthique et des modalités de partage innovantes pour favoriser la mutualisation de plusieurs jeux de données publiques, tels que les données de mobilité et de transports et les données environnementales. De plus, un concours panquébécois, dénommé Hack Québec, est organisé annuellement pour faire émerger des initiatives innovantes autour de l’usage des données ouvertes. En octobre 2022, 5 projets collaboratifs ont été récompensés à Montréal pour avoir démontré concrètement comment les données peuvent se mettre au service de la transition écologique, que ce soit à travers la sensibilisation, l’accélération de l’adoption des comportements écologiques, ou la création des outils d’aide à la décision.